Création: Le gros Lessard


Le gros Lessard

7:00 am, mon réveil sonne. Il est temps que je me lève pour me préparer pour une journée remplie de belles aventures avec plein de nouvelles choses à apprendre comme dirait ma mère. Dans mon livre à moi, ça s’appelle l’école, mais bon, peut-être qu’un jour je comprendrai pourquoi c’est si formidable d’aller à l’école. Pour l’instant, je vais commencer par me lever de mon lit et faire ma routine du matin. D’abord, trouver mon t-shirt préféré dans le linge qui traine partout. Mettre mes shorts en jeans avec un petit trou sur le genou, des boxers propres (c’est une obligation, selon mon grand frère, si je veux «pogner» auprès des filles). Et finalement, ma casquette des Canadiens. Ouais, comme ça, j’ai un look d’enfer.  Ensuite, l’ordre logique, c’est le petit déjeuner, le brossage des dents, ramasser mon lunch, mon sac et aller prendre l’autobus. Attendre l’autobus; ça c’est le moment que je déteste le plus dans ma journée, parce qu’il y a toujours mon voisin qui m’embête. 

Mon voisin, c’est le gros Lessard. C’est un vrai dur qui fait peur à tout le monde, et qui est diaboliquement méchant. J’ai déjà soulevé l’hypothèse une fois qu’il serait un disciple de Satan et qu’il serait venu pour faire régner la terreur dans le quartier, mais ma mère ne m’a pas cru et m’a privé de film d’horreur pendant une semaine. Moi, je suis sûr qu’il ne vient pas de notre planète. Il n’a que douze ans, mais il est grand comme s’il en avait quinze, et il a une moustache toute molle et dégoutante. Ses bras sont deux fois plus gros que les miens, et deux fois plus poilus aussi. Il a les dents toutes jaunes, et vu son haleine, il ne doit pas les brosser très souvent, une fois par jour, pas plus. Je serais aussi prêt à parier qu’il se lave seulement une fois par semaine tellement il sent mauvais. Mais le pire de tout, ce n’est pas son hygiène, ou plutôt son manque d’hygiène, ni même de quoi il a l’air. Le pire, c’est sa méchanceté. Il est méchant avec tout ce qui bouge. On ne peut jamais avoir l’esprit tranquille quand il est dans le coin, il faut se surveiller à chaque instant. L’autre jour, je faisais de la bicyclette dans la rue, et en arrivant près de ma maison, je l’ai vu botter de toutes ses forces un petit chat qui était venu le voir pour se faire flatter. Il lui a dit : «Dégage sale bête, je ne veux pas te flatter». Le petit chat a fait un vol plané pour disparaître dans le buisson de Madame Vigneau, la voisine d’à côté.  Mon cri de terreur s’était mêlé au miaulement désespéré du pauvre petit minou.  Je suis resté deux minutes pour voir si le chat était toujours en vie, mais quand j’ai entendu le gros Lessard crier «Qu’est-ce que tu regardes comme ça?», je suis parti à toute vitesse dans le sens opposé de ma maison, même si  elle était juste là.  

Le gros Lessard n’est pas seulement méchant et cruel, il est aussi bête et prend plaisir à être désagréable. La semaine dernière, je faisais mes devoirs dans ma chambre, et j’ai vu par la fenêtre le gros Lessard sur son perron, en train de brûler des fourmis avec une loupe. Il ne faisait rien de très important, mais quand Madame Vigneau est venue le voir pour lui demander son aide, pour arroser ses plantes suspendues, le gros Lessard l’a regardée avec le plus grand sourire de méchanceté dans les yeux, et il lui a répondu simplement «Non, je n’en ai pas envie, arrange-toi toute seule, vieille grand-mère sénile.» Je n’en revenais pas, Madame Vigneau est la vieille dame la plus douce et la plus gentille au monde, on ne refuse pas de l’aider quand elle le demande. En plus, elle donne des biscuits quand on lui donne un coup de main. Mais le gros Lessard préfère la méchanceté aux biscuits, alors Madame Vigneau était retournée chez elle et mon horrible voisin a continué de torturer les fourmis en riant aux éclats. 

Ça fait quatre ans qu’on va à la même école, le gros Lessard et moi, sauf qu’il est en sixième et moi en quatrième. Puisqu’on est voisins, on prend le même autobus et il a fallu que je développe une stratégie pour ne plus me faire voler mon lunch, ou encore, pour ne plus me faire remonter mes boxers par-dessus la tête. Avec les années, j’ai découvert quelques cachettes situées à des places stratégiques où je peux voir l’autobus arriver, sans me faire voir du gros Lessard. Je me cache dans le buisson du terrain de Madame Topinambour, j’attends près de l’arbre à côté de la borne fontaine ou je passe par derrière ma maison, comme ça il ne me voit pas et j’ai la vie sauve. 

Ce matin, je choisis l’option du buisson de Madame Topinambour. J’arrive à ma cachette, mais une fois en place, je remarque une jeune fille qui attend sur le bord de la rue. Elle attend sûrement le même autobus que moi. Je ne l’avais jamais vue dans le coin avant. Elle ne doit pas être au courant pour le gros Lessard. Est-ce que je sors la prévenir, au péril de ma propre vie? D’accord, j’y vais! Au même moment, le gros Lessard sort de chez lui. Zut, c’est trop tard. Je ne suis pas un lâche de nature, mais devant lui, je perds tous mes moyens, et j’ai vraiment la frousse. Alors je reste dans ma cachette et j’observe. Le gros Lessard s’approche, de son pas lent qui traîne, comme toujours, mais tout d’un coup, en voyant la fille, il s’arrête. Ensuite il continue son chemin en regardant autour voir si quelqu’un l’a vu. Toutefois, il ne se traîne plus les pieds et il marche la tête relevée. Si je ne me trompe pas, je crois même qu’il y a un sourire sur ses lèvres. Il est très subtil, mais oui, il y en a un. Je n’avais jamais vu le gros Lessard sourire avant. Je ne suis pas certain que ça lui va vraiment bien, on dirait qu’il a une envie pressante qu’il retient depuis au moins dix minutes, mais enfin, c’est mieux ça que d’avoir un regard de tueur. La jeune fille lui fait un sourire par politesse, que le gros Lessard lui renvoie à son tour. Mon dieu, je suis en train d’assister à un moment historique; mon horrible voisin qui sourit par gentillesse à une autre personne. Une croix sur le calendrier s’impose. Finalement, l’autobus arrive, et les choses en restent là. Dans l’autobus, le gros Lessard va s’asseoir dans son banc habituel au fond de l’autobus, tout seul, et la petite nouvelle s’assoit devant, avec une autre fille de l’école. Moi, je rejoins mon meilleur ami, et lui raconte ce que je viens de voir. Ensuite, je jette un petit coup d’œil au gros Lessard, mais son air renfrogné plein de méchanceté est revenu. 

7:00 am, mon réveil sonne. Tout de suite je me lève et je me prépare. Ma routine complétée, je me dépêche de sortir pour prévenir la nouvelle de se méfier du gros Lessard. Quand j’arrive à l’arrêt, elle est déjà là, mais elle parle avec quelqu’un. Un autre nouveau… je ne l’ai jamais vu lui non plus. Bon, je vais faire d’une pierre deux coups comme on dit. En m’approchant, je commence à analyser un peu plus le visage du nouveau jeune homme, et là, je fige sur place. Ce n’est pas un nouveau, c’est le gros Lessard. Vite, je change de trajectoire et je me dirige vers l’arbre et la borne fontaine. Je prends quelques secondes pour reprendre mes esprits, puis je regarde à l’arrêt pour voir s’il m’a vu. Non, ça va, je suis sauf. Je regarde alors plus attentivement pour être sûr que je ne me suis pas trompé, mais c’est bel et bien mon horrible voisin. Il est différent, je ne le reconnais plus. Il n’a plus de moustache molle, ses cheveux sont peignés sur le côté et ils ont l’air propres, et je suis prêt à parier qu’il s’est brossé les dents ce matin. Au lieu de son chandail troué habituel, celui avec le dessin sanglant et morbide, il porte une belle chemise bleue, et c’est tout juste s’il n’a pas la cravate et les lunettes du «nerd» parfait. Je n’en reviens pas, soit le vrai Lessard s’est fait enlever par des extra-terrestres pendant la nuit et remplacer par un garçon gentil et bien habillé, soit il a eu un lavage de cerveau. Encore hier soir, il a détruit le ballon de plage des jumeaux, ses voisins d’à côté, parce qu’ils l’avaient envoyé sur son terrain.

 Enfin, ce matin, il parle avec la nouvelle, et ils ont l’air de bien s’entendre. Elle, elle rit de bon cœur, et lui, il sourit. Je ne pensais jamais voir ça, le gros Lessard, gentil, et avoir du plaisir. Il doit être malade; une grippe, la tuberculose ou une autre maladie avec un nom beaucoup trop compliqué. Je garde mes distances, et je m’approche seulement lorsque le bus arrive. On embarque dans le bus, et à la minute où les autres le voient, c’est le silence complet dans l’autobus. Ils sont tous aussi surpris que moi. Nous prenons nos places respectives, le gros Lessard en arrière, la nouvelle avec une fille de mon année et moi avec mon ami. Le bavardage reprend et on se dirige vers l’école. 

Sur le chemin du retour, le gros Lessard n’arrête pas de jeter des petits coups d’œil à la nouvelle, mais du moment qu’elle se retourne, lui il détourne son regard et fait semblant d’être absorbé par quelque chose à l’extérieur. En débarquant de l’autobus, je me dépêche de rejoindre la nouvelle pour lui demander son avis sur mon horrible voisin, et elle me répond qu’elle le trouve drôle, gentil et charmant. Ce sont les trois mots que j’avais rayés de mon vocabulaire quand je parlais du gros Lessard, et voilà que ce sont les trois premiers qu’elle dit. Je ne comprends rien. Le gros Lessard nous rejoint, mais j’ai soudain une envie très urgente et je rentre chez moi d’un pas très rapide. En fait, j’ai surtout très peur du gros Lessard, mais je ne veux pas que la nouvelle pense que je suis un froussard, alors je lui donne la première excuse qui me vient en tête; ce n’est pas la plus glorieuse, mais c’est la plus efficace. 

7:00 am, pas de réveil. C’est samedi, la plus belle journée de la semaine. Je fais la grasse matinée dans mon lit, jusqu’à 7 :30, puis je descends prendre mon petit-déjeuner en pyjama. J’écoute un peu la télévision, je m’habille  et j’appelle mon meilleur ami pour qu’il vienne faire de la bicyclette avec moi. Je l’attends dehors en jouant un peu au basket-ball, et là, l’impossible se produit. La petite nouvelle traverse la rue et va cogner à la porte du gros Lessard. C’est lui qui ouvre, et cette fois, ma mâchoire tombe par terre, façon de parler. Il porte un polo rouge et un beau jeans avec des souliers super classe. Il a encore l’air propre; deux douches en deux jours, c’est incroyable. Il s’est même fait couper les cheveux. Toujours pas de trace de sa moustache molle. Pourtant, hier soir, je l’ai vu par la fenêtre de sa chambre, il avait les cheveux en bataille, avec son fameux chandail troué, et il avait l’air très contrarié par je ne sais pas quoi. Il faisait des poids et altères et il suait beaucoup trop pour un enfant de douze ans. Et je jure qu’il avait du poil sous son nez, sa moustache répugnante était là hier soir. Mais ce matin, disparue. À la place, il a un grand sourire. Il sort de sa maison et tous les deux se promènent dans le jardin en discutant. Je n’entends pas ce qu’ils se disent, mais ils sourient et rient de bon cœur. Ils continuent à se promener, marchent dans la rue et ils arrivent finalement à la hauteur de la maison de Madame Topinambour. La vieille dame travaille dans son jardin, paisible et de bonne humeur. Je suis sûr que l’envie d’être méchant ou désagréable va surgir d’un moment à l’autre. Il ne peut pas s’en empêcher, à chaque fois, il faut qu’il lance une grosse roche dans les fleurs de Madame Vigneau. La dernière qu’il a lancée était trop lourde pour la pauvre dame, et elle est toujours là, dans le milieu de son jardin. Le gros Lessard fait signe à la nouvelle d’attendre et se dirige vers Madame Vigneau. 

Ça y est, le mal est de retour, je savais qu’il ne pourrait pas résister à la tentation. Mais c’est bizarre, parce qu’il ne ramasse pas de caillou. En fait, il s’avance directement dans le jardin, dit quelques mots à la vieille dame, qui après l’avoir écouté attentivement, lui sourit et lui fait un signe de tête pour le remercier. Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe, mais là le gros Lessard se penche et ramasse la grosse roche qui faisait une tache dans le jardin de Madame Vigneau. Je n’en crois pas mes yeux, c’est impossible, mon horrible voisin, gentil et serviable. J’attends quelques instants qu’il s’éloigne avec la nouvelle et je cours vers Madame Vigneau pour lui demander ce qu’il lui a dit. Elle me répond qu’il voulait s’excuser pour toutes les roches qu’il avait lancé dans son jardin, que ça ne se reproduirait plus, et que pour se faire pardonner, il l’aiderait à prendre soin de ses fleurs. Je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé, mais Madame Vigneau a appelé ça l’amour. Je ne sais pas vraiment ce que c’est comme  maladie, mais j’espère qu’elle dure très longtemps.

Réflexion critique
 
Pour mon projet création, j’ai décidé d’écrire une histoire mettant en vedette un jeune garçon de dix ans qui raconte ses péripéties lorsqu’il attend l’autobus le matin avant d’aller à l’école. En fait, le jeune Ludovic nous parle de son horrible voisin, le gros Lessard, qui a douze ans et qui le terrifie. C’est une vraie brute cruelle et méchante qui prend plaisir à être désagréable avec son entourage. Le texte est raconté par le jeune Ludovic qui nous fait part de ses observations et de ses impressions sur son voisin. Pendant l’histoire, le jeune garçon remarque un changement chez son voisin, une transformation étrange. Après avoir rencontré la nouvelle petite voisine, il n’est plus le voisin laid et méchant qu’il connaissait, il devient propre et gentil.

L’action se déroule principalement lorsque les jeunes attendent l’autobus, c’est là que Ludovic raconte ce qu’il observe de son voisin. Le lien avec mon sujet d’analyse, c’est le mythe du Dr. Jelyll et Mr. Hyde. Cependant, dans mon histoire, c’est le processus inverse qui se produit. Au lieu d’avoir un personnage gentil et honnête qui se transforme en brute, c’est un c’est un jeune garçon cruel et méchant qui se transforme en gentil jeune homme. Toutefois, il n’y a qu’un aspect commun entre la nouvelle de Stevenson et mon histoire qui cause la transformation. Dans l’histoire de Stevenson, il y a une potion et des femmes qui sont responsable du changement. Dans la mienne, c’est seulement à cause d’une femme, la nouvelle voisine, que l’affreux se transforme. Au niveau de la narration, j’ai aussi utilisé une technique différente. Il s’agit d’une focalisation interne et d’une narration interne également. J’ai choisi cette méthode pour nous permettre d’avoir un accès direct aux pensées de mon personnage principal, puisque c’est lui qui nous raconte ce qui se passe. Ludovic vit dans un petit quartier paisible, avec des enfants de son âge et mène sa petite vie de garçon de dix, avec ses hauts et ses bas. Je voulais dans mon texte essayer de montrer comment les jeunes de cet âge là sont influencés par ce qui les entoure, et plus particulièrement par les personnes qui les entourent. Ayant moi-même un jeune frère de onze ans, je vois comment il évolue et à quel point son entourage l’influence, et l’impact qu’à sur lui ce que les autres disent. Dans l’histoire, c’est le gros Lessard, qui subit le plus gros changement, et c’est un exemple concret, de qui se produit dans le monde des jeunes, lorsqu’une fille entre en jeu. Il est seulement un peu amplifié.  Je trouvais important de raconter ce changement d’un œil extérieur, pour vraiment voir les changements physiques et psychologiques, car la personne concernée ne se rend pas toujours compte qu’elle change. Voilà pourquoi c’est Ludovic le narrateur principal et non le gros Lessard.

Avoir un enfant comme personnage principal est une chose assez complexe. Il faut toujours garder en tête que les mots trop sophistiqués ou trop «adultes» ne sont pas de mise dans ce genre de texte. Il faut penser et parler comme un enfant de dix ans. Ce n’est pas facile, mais je crois que j’ai réussi, dans l’ensemble, à garder cet esprit de jeune garçon. Le choix des mots, des tournures de phrases et des idées farfelues sont des éléments qui permettent de croire que le narrateur n’a que dix ans. J’ai choisi d’utiliser des personnages relativement simples. Le jeune garçon en ordre, gentil qui fait ses petites affaires, et la grosse brute. C’est plutôt traditionnel et cliché comme personnages, j’en suis consciente, mais c’est parfois ces personnages qu’on aime retrouver dans des petites histoires et qui font sourire les lecteurs. J’ai quand même essayé d’utiliser un autre lieu que la classique cour d’école. J’ai plutôt choisi le petit quartier où les enfants restent et où ils attendent l’autobus. 

Pour situer ma création dans le contexte socio-historique contemporain, je crois qu’elle rejoint l’idée des jeunes brutes des écoles primaires qui font la vie dure aux plus jeunes et à ceux qui sont différents. Ce n’est pas l’aspect qui a le plus d’impact ni le plus d’importance dans la société d’aujourd’hui, mais il reste très présent, et ce dans toutes les écoles. D’accord, mon histoire ne se déroule pas dans une école, mais l’idée reste la même, une sorte de critique de la jeune société. Au niveau de la culture actuelle, l’œuvre se situerait dans la section «jeunesse» de la bibliothèque, je pense. Ce que je veux dire, c’est que c’est une histoire mettant en scène des enfants, mais qui est aussi écrite pour les enfants. Donc, si on écrivait une œuvre plus complète avec ces personnages, elle serait pour les plus jeunes. Une ressemblance qu’il y a entre ma création et mes œuvres étudiées, c’est la cause du changement. Elle est la même que dans les adaptations cinématographiques, c’est-à-dire que le personnage se transforme à cause d’une jeune fille qui lui plaît. Toutefois, le processus est inversé. Au lieu d’un gentil qui se transforme en méchant, c’est le méchant qui se transforme en gentil. Le tout est amené  avec une petite touche d’humour et de naïveté. Il n’y a pas de punch éclatant inattendu à la fin, mais c’est seulement une petite phrase amusante qui rappelle l’âge du narrateur.